LE PEINTRE POÈTE DES ESPACES CONTEMPLATIFS D'UNE NOUVELLE ABSTRACTION
Freddy Duriès, né à Nîmes de parents réunionnais est un plasticien vivant et travaillant à Marseille. Freddy a fait sienne l’abstraction picturale.
De sa pratique de musicien au sein des Statonnells, son geste pictural qui rappelle Gerhard Richter s’affirme comme une exploration d’univers de formes et de couleurs qui tendent vers une vibration de la couleur au sein de la matière de plus en plus pure.
Sa peinture cinétique se déploie dans un vocabulaire de touches,de palettes riches : elle est telle une odyssée vers des espaces vierges où la présence de l’homme se fait rare, anecdotique.
Ces grands formats ouvrent le regardeur, si cher à Marcel Duchamp, des temps de contemplations qui le plongent dans un univers intime mais dégagé de l’intimité.
"Berlingo" (Huile sur toile ) évoque tant la mire de couleur des années 80 des chaines de télévisions, qu’une vue macroscopique des bonbons de l’enfance. Mais Infiltration n°6 représente avant tout et en premier lieu une multitude d’espaces colorés, de délimitations spatiales qui s’interpénètrent comme autant de galaxies mises côte à côte et dont les commencements et les fins se métisseraient : un alpha et un oméga tournant sur eux mêmes à l’infini. La peinture de Freddy Duriès est chirurgicale, au scalpel : c’est un artisan magicien de la couleur, artiste de la lumière.
Dans son atelier sur les ports de Marseille, tel Vulcain dans sa forge, Freddy donne corps à la lumière sous la danse des pinceaux, insuffle la vie à la matière dans des assemblages de couleurs toujours plus vibrants sur la toile. « Ces cérémonies mystiques » se vivent au son du Maloya de son île mêlée à des airs de Gainsbourg ou des musiques lunaires expérimentales à Schonberg. puis la série des métamorphoses se déploit comme les métamorphoses d’Ovide :
les métamorphoses de Duriès sont des explosions picturales. Elles tendent à des espaces-temps débarrassés du signe et du graphisme pour s’offrir tels des étendues vierges de l’humain au regardeur. Elles sont comme autant de possibles pour des mondes en suspensions, où seul la contemplation peut ouvrir sur nos propres chants intérieurs. Freddy se défend d’un travail identitaire. Lui le métisse, le nîmois a vécu son adolescence sur l’île de la Réunion et il est le marseillais d’adoption depuis 20 ans où ses études en école d’art l’ont conduit. Il explore dans sa pratique une méditation sur la nature. Ses toiles virginales de toute représentation humaine sont pourtant autant d’appels, d’odes à une nature retrouvée, semblable à celle de son île parternelle, un Eden que la modernité ravage un peu plus, à chaque nouvelle décennie avec les titanesques travaux d’aménagements urbains. À la présence de l’homme, le peintre choisit de présenter des toiles libres de tout asservissement à un discours politique, social ou identitaire. « Je suis peinture. Je suis cela et plus que cela. Je suis libre de tes mots » semblent-elles, toutes dire au public. Mais n’est-ce pas là une radicale posture et une résistance absolue où dans un siècle l’image est réduite à la narration que d’offrir une pause au regardeur, un moment d’absolu rêverie, une plage métaphorique où peuvent s’échouer se regarder tous les imaginaires ?
Marie Julie, Juin 2016
« Une couleur nue, en général un visible, n'est pas un morceau d'être absolument dur, insécable, offert tout nu à une vision qui ne pourrait être que totale ou nulle, mais plutôt une sorte de détroit entre des horizons intérieurs et des horizons extérieurs toujours béants, quelque chose qui vient toucher et fait résonner à distance diverses régions du monde coloré, une certaine différenciation, une modulation éphémère de ce monde. »
(Merleau-Ponty, Le Visible et l'Invisible, 1979)
L'œuvre nommée "L'enseigne" (Huile sur toile) nous le dit clairement dans son indéfini, on se confronte à une peinture qui se passe de mots. On la regarde en silence. Ce qui arrive est un va-et-vient de vocabulaire qui apparaît en désordre lorsque l'on fait face : vortex, percepts, fluides, membranes, tourbillons, turbulences, résurgences, émergences, interfaces, fusions, dissolutions, nébuleux, « space », effets optiques, « une présence », romantiques, automatisme, lignes de confusion, résonances, « flou artistique », passing through over into across away, désincarnation, révélation, pictorialisme, hybrides, concrétions provisoires, plis versatiles, mouvances, fulgurer, surréflexion, transports, maelström, « ressemblance informe », spires foetales, sans dessus-dessous, bizarre, émanations, ambivalence, queue de comètes, « Flurry »... autant d’invitations à percer l’énigme de ces surfaces plasmiques.
La toile, ou le support en général pour le peintre, offre bien des façons de reflets, d’attractions ou de résistances. Mais comment reconnaître la provenance de signes ? Comment dire s’ils proviennent d’un dedans ou d’un dehors ? Les tableaux de Freddy Duriès peuvent être qualifiés de « réflexifs » tant au niveau du contenu mental ou abstrait qu’au niveau de la lumière qui nous fixe tout en donnant corps à la peinture. Il cherche à saisir et à produire un état précis, un effet de réflexion immatériel en s'appuyant sur le regard, la perception et le passage du sujet visible à l'objet visuel. Le clair-obscur joue une fonction artistique opposant l’intérieur et l’extérieur, l'intangible et le matériel. Cela permet également d’augmenter la tension permanente de la forme vers l’informe, de figer les attitudes à un moment précis, de mettre en volume les formes et donner l’illusion du relief et de profondeur « à l'intérieur de la surface ».
La manière picturale de Freddy Duriès ne trace pas de ligne de partage entre la lumière et l’ombre. Pas de traces de pinceau, de coulures barbouillées, de taches manifestes, de « pâtouilles » expressives, de matières brutes, au profit d'un immatériel flottant. On se situe de fait dans la vision et non dans l'empreinte ou les gestes du travail de la « peinture peinture ». Un état d'absence à soi autant qu'une échappée hors de l'humain . La lumière et l’ombre effleurent les figures, modèlent les choses, débordent les cadres. Elles contribuent à la stabilité équilibrée de l’ensemble tout en animant la surface .
SOFT - FOCUS & STRATOS- FAIRE
On Voit Nettement Indistinctement
La question est : où est-on ? C’est problablement ce que se sont demandés en premier les explorateurs qui ont découvert La Réuion. La première réponse fut certainement : un territoire vierge, sans hommes et sans nom, on est là où on n’est jamais allé. Puis ils se sont installés. Freddy Duriès ressemble à ces pionners dans son approche de la peinture : il ne perçoit pas le tableau comme une terre vierge mais comme un espace inhabité.
On entre dans la peinture. On ne mesure plus le temps du regard . Oubliées les sept secondes de moyenne prêtées habituellement aux passagers du Louvre. On est à la fois quelque part, peut être sur la plage à regarder le ciel et la mer, se confronter pour la paternité de l’horizon, et à la fois nulle part, une surface rectangulaire peinte où rebondissent les mots. Une plage est, selon le désir de chacun, là où la mer commence. Le regard est une décision qui crée une vue : la ligne d’horizon esquissée, trait d’eau-céan et d’atmosphère, un infini en même temps qu’une barrière impossible.
“Va voir à l’horizon” nous dit-on, cela signifie clairement qu’on y trouvera personne, rien d’autre que la disparition.
On peut démonter le regard en six opérations successives : la notation des contours , les seuls contours sont donnés par la découpe du tableau ; la composition qui réunit les surfaces et articule les formes; la réception des lumières, la notation du support, l’analyse des concepts et la mise en espace du tableau . L’idée de la peinture comme histoire de voir, investit le tableau dans un rapport frontal, comme un instrument de cette narration. L'abstraction n'est elle pas simplement la manifestation visible d'une dualité universelle : une figuration qui n'est pas immédiatement visible ? Fugitive , émergente ou noyée , elle se dissout dans la fonction de la figure pour faire figure .
Freddy n'est pas naïf . La Réunion est son héritage , ses racines créoles , mais elle n'est pas son enfance , doù une retenue naturelle , une distance salutaire . L'abstraction est pour lui une façon de sortir de l'attente que l'on a généralement d'une représentation authentique d'un réunionnais , sa panoplie de créole de la carte postale de l'ilote . L'abstraction est une tradition que Freddy Duriès peut s'approprier sans dogmatism . Elle consiste dans son travail à ce que j'appellerais" impressions de Réunion " . La légèreté , le glissement , le déplacement , la tangente , sont alors des engagements formels . Il ne s'agit pas de transformer le monde mais de proposer une expérience de perception , un exercice de vie , une question de vibration . La peinture de Freddy est de , de ce point de vue , une proposition inaliénable qui travaille une façon d'apparaitre .
Il propose use vision qui fait fondre les formes solides en brumes de couleurs . Une planéité lyrique . Le seuils et l'étendue . Une peinture rétinienne , la surface picturale comme réalité et comme sources de sens. Un espace métaphysique sans ombre . Une expérience exogène : la quatrième dimension immobile , les tropiques d'une cinquième saison
Les contours diffus donnent une peinture " non dessinée" pour plus de sensation et moins de discours . Une surface d'attraction où la couleur et son traitement aspirent le regard dans quelque chose de non-spécifique , une dérive vers un espace-chose hors du temps plus mental que gestuel . Des images vues par des yeux frottés ou éblouis . Des visions d'un pays rêvé et perdu , un monde sans lettres , une impression naturelle doublée d'un surréalisme personnel . La couleur peut alors régler sa dette envers la mémoire et reconnaître dans une toile un ciel bleu saigné à blanc .
Il ne s’agit pas de transformer le monde mais de proposer au spectateur une experience, un exercice de vie, une question de vibration. La peinture de Freddy Duriès est, de ce point de vue, une proposition inaliénable qui travaille une façon d’apparaître.
Des surfaces sans les traces pour raconter les procédés de fabrication du tableau, sans épaisseur de matière, sans empreintes de pinceau, sans la gravité des coulures, lisse comme une surface d’une mer d’huile. Les vestiges d’une activité humaine qui permettent au spectateur d’exécuter mentalement le tableau et de lui apporter ainsi une “biographie”, les témoignages laissés par la main du peintre sont estompés. On ne refait pas le tableau, on entre dans une contemplation silencieuse .
Je suis persuadé qu’après sept secondes d’observation d’une œuvre d’art, le corps respire différemment. Le temps de regard à celui de l’exécution de la peinture à l’huile.
Les compositions de lignes sont plus formalistes. Des tableaux composites plus dynamiques . Il s’agit de balayer les brumes colorées : fragment, détail, construction, agglutinement, composition instable, recouvrement, heurts, basculement, débordement, d’un coté à l’autre, concentration de lignes horizontales de navigation . L’œil glisse sur ces lignes d’action et on remplit mentalement l’espace “vide” qui l’entoure, en prolongeant les segments, une trame infinie qui appelle le regardeur à se laisser happer par l’étrangeté pour combler les blancs.
On a affaire à une pratique qui conduit au doute, y’aurait-il une figure autre que celle de la peinture ‘pure” derrière ces tableaux ? Plus le doute grandit , plus la méfiance de Freddy vis à vis de sa propre production augmente . Plus le temps passe , plus la présence de la figuration se developpe . Le tableau n'est plus une seule surface animée mais un espace de coexistence. Le fauteuil, figure minimaliste et brouillée, vanité aux temps plus raprochés des sujets représentés, image impure car elle reste peinture. Objets, figures et paysages sont absorbés .Un état intermédiaire entre l’objet et l’abstraction, aux confins du quotidien et de la peinture seule
Le mobilier structure l'espace du tableau, occuppe sa surface et ses lignes le traverse . Il révèle la possibilité d'une présence humaine et dévoile son absence , une absence positive . Cette disparition était était plus abstraite , plus enfouie dans les espaces colorés .Les couleurs en sont moins admirable . Elle apparait dans une figuration plus évidente et pourtant incertaine comme l'image tremblée et lointaine d'un mirage . La peinture semble éclairer Freddy dans cette direction .
L'installation de ses toiles reflête le désir de s'emparer d'une architecture pour métamorphoses la visité en processus non linéaire . On traverse des lignes de démarcation . On se sent franchir un seuil entre deux mondes . Il s'agit de monter une topologie qui rée une tension entre mouvement et inertie . Le spectateur confronte son corps et son temps à la spécialité coloriste et atmosphérique des peintures . Les territoires se croisent . L'ordre de la traversée se fait différent . On est amené à penser qu'il faut savoir parfois avancer à pas de somnambule pour identifier son monde environnant .
Luc Jeand’heur
TEXTES
Les " Étoffes" sont des allégories de la peinture, un piège à lumière où le visible s'épuise dans la peinture. L'artiste économise à l’extrême les moyens de représentation et ainsi renforce l’impact visuel pour faire remonter à la surface une foule de sensations. Il multiplie les formes aux limites de l'informe . Il départicularise l’univers peint, une figuration à la surface-d'elle-même, pour obtenir une « abstraction sensible » selon l’expression d’André Malraux. La surface est un milieu d'échange. Peut-être que dans la peinture de Freddy Duriès, tout est reflet, un reflet où la figure se contemple, où elle résonne, autant qu’elle en est rejetée .
Dans cette gestation des formes typiquement modernes, la séduction du Sublime y est contorsion et non état, un mouvement comme le « commencement illimité de la délimitation d’une forme » (Jean-Luc Nancy) .
Un effacement de la figuration, dispersion de formes dans une résurgence de la couleur et de la lumière . L’informe est visé comme l’origine de la forme toujours tapie en elle, son état de génération, son devenir, son atemporalité.
Il s'agit de laisser dans chaque peinture la part d’inachevé qui laisse possible sur la même toile une infinité d’autres peintures, ce que Louis Marin nommait le « comble » de la représentation. Le présent flotte dans cette instabilité chronique, dans cette variation subtile entre permanence et instantanéité, fixation et accélération. Il y est question de dépasser une dimension intuitive, sensible pour aller au-delà, où « l'artiste se fait producteur d'un ordre qu'il invente, ou contemplateur d'un ordre qu'il découvre » ( Yves Michaud).
Les dessins, bien qu'anecdotiques dans le travail de Freddy, répétent cette volonté de délivrer une part d'étrangeté. Une série de formats « de bureau » à la légèreté soutenue, crayons et stylos dont la chorégraphie de lignes au lieu de serpenter en mots sur la papier, s'enroulent et voltigent dans un va-et-vient fragile, transparent mais obstiné, impulsion à l'aveugle et progression libre, labeur entêté et dérive intuitive, improvisation sémiotique et programme d'essai, une écriture automatique qui éprouve les limites (toujours l'expérience des limites) d'un perception claire entre investigation graphique et sédimentation de « ce qui se dessine tout seul ».
L'expérience est toujours la même, celle d'une sorte d'abstraction fonctionnelle, celle de la figure qui rassemble les formes sur une surface d'action concentrée ou all-over, celle d'une attention ornementale particulière à ce qu'on appelait la Beauté et un regard déplacé sur le Sublime. Les « OVNIs » jaillis de l'univers formel et perceptuel de Freddy Duriès oscillent par un jeu d'échanges fluides ou dialectiques entre l'apparence et l'apparition, entre l'effet volatil d'une explosion maîtrisée et la sensation comme acte commun du sentant et du ressenti. La continuité de l'image dans la peinture et la continuité de la peinture dans l'image entrent en résonance pour ouvrir un espace des possibles, permettre la genèse de toutes les formes, nourrir toutes les visions idiomatiques, et penser que l’incertain et l’improbable restent encore à peindre.
Texte de Luc JEANDHEUR avril 2009
INFINIES - LIMITES
Étoffe n° 3 . Huile sur toile 1,60 x 1,60 m ( Fondation Écureuil )